Pour un tourisme durable : ralentir et regarder

A l’amorce de la rentrée, l’été qui s’achève donne l’occasion d’une réflexion sur les vacances et le tourisme tel qu’il se pratique aujourd’hui. Quiconque fréquente les musées parisiens ou les grandes villes européennes pourra être frappé par des comportements analogues : les selfies pris en série devant tel monument, les abords des sites remarquables envahis par des boutiques ou restaurants vendant tous les mêmes produits ou les mêmes plats, les tableaux d’un musée pris en photo les uns après les autres, sans que le spectateur prête la moindre attention à ce qu’il photographie, des groupes de retraités ou de jeunes collégiens ou lycéens au comportement moutonnier… Partout, le tourisme de masse dénature les lieux en les détournant de leur fonction originelle : une cathédrale n’a aujourd’hui presque plus de fonction spirituelle, un musée est financé dans un objectif de développement économique, un espace naturel est aménagé en vue, non pas de le préserver, mais d’en augmenter l’attractivité. Partout, la logique utilitaire s’empare des lieux.

Un peu partout en Europe, la muséification progresse : quartiers parisiens abandonnés aux locations AirBnB, surfréquentation des espaces naturels jusqu’à leur destruction, perte de l’usage habituel des lieux pour les populations locales. Le tourisme de masse fréquente quasiment de manière hors sol : on va dans telle ville ou sur tel site non pas pour ce qu’il signifie, mais parce que sa visite est prescrite par les guides touristiques, les blogs ou des proches, soit une sorte de renommée internationale impersonnelle. L’objectif est en quelque sorte de pouvoir montrer à ses proches que l’on y est allé. D’où l’importance des selfies et du partage en ligne. Le touriste d’aujourd’hui existe par le regard de l’autre, non par le regard qu’il porte sur ce qu’il voit. En outre, le touriste ne rencontre pas d’autochtones : à l’étranger, il ne fréquente que d’autres touristes internationaux. Hors chez lui, il ne trouve que lui-même. In fine, tout le monde est connecté, personne n’est présent à l’esprit des lieux.

Cela vient interroger ce que peut être un projet dans le domaine. Pour les acteurs publics, il est urgent de sortir de la logique quantitative, focalisée sur l’augmentation du nombre de nuitées ou de visiteurs. Les collectivités se doivent de maîtriser le développement touristique de leur territoire, en limitant les incitations à un tourisme peu générateur de valeur et pauvre de sens. Les acteurs privés de leur côté commencent à intégrer les problématiques de tourisme durable. Enfin, pour les voyageurs, nous proposons une éthique de l’attention : attention aux lieux, aux temps, aux autres. Contre la rapidité du voyage et l’instantanéité du partage sur Facebook ou Instagram, la lenteur et la contemplation. C’est à cette condition que la rencontre avec un paysage, une œuvre artistique ou une personne est possible. Comme le dit Simone Weil, et contre l’égoïsme contemporain, « l’attention est la forme la plus rare et la plus pure de la générosité », qui seule permet la vrai rencontre.

Emmanuel Paul de Kèpos

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