La faillite du courage

« Si vis pacem, para bellum » : si tu veux la paix, prépare la guerre ! Face à l’accroissement des périls à l’Est de l’Europe, cet adage latin devrait présider à notre action. Rappelons les faits : la Russie, qui a déjà annexé le Crimée et déstabilisé le Donbass, masse des troupes (plus de 110000 hommes) et du matériel lourd à la frontière ukrainienne. Dans le même temps, elle annonce déployer son armée pour des exercices en Biélorussie, et organise des manœuvres navales d’ampleur mondiale. Face à cela, l’Ukraine appelle à l’aide les occidentaux. Mais la menace ne se limite pas à l’Ukraine : pays baltes, scandinaves et d’Europe centrale s’inquiètent. C’est ainsi que la Suède commence à déployer des troupes sur certaines de ses îles jouxtant la Russie. La question se pose : qu’est-ce qui intéresse vraiment la Russie ? Seulement l’Ukraine ? Ou tout le périmètre de l’ancienne sphère d’influence soviétique ?

Dans le même temps, la Russie fait monter la pression en exigeant des États-Unis et de l’OTAN des concessions exorbitantes : impossibilité de plus étendre le périmètre de l’OTAN, retrait des troupes de l’OTAN d’Europe centrale et orientale, etc. De plus, la Russie entend négocier directement avec les Etats-Unis, en n’incluant pas les Européens, pourtant les premiers concernés. Ces demandes ressemblent plutôt à des ultimatums, et ne sont pas de réelles négociations. Au même moment, l’opinion publique russe est abreuvée d’un discours présentant l’OTAN comme assiégeant la Russie, alors qu’elle n’a en réalité qu’une fonction défensive.

Face à cela, il apparaît de plus en plus clair que les occidentaux ne sont pas prêts à mourir pour l’Ukraine. Mais le seront-ils pour défendre des membres de l’Union Européenne et de l’OTAN ? Quoi qu’il en soit, dans l’hypothèse d’une agression par la Russie de l’Ukraine, les occidentaux menacent le Russie de sanctions économiques et politiques d’ampleur systémique, qui couperaient les vivres aux Russes. Mais ce qui pourrait se profiler derrière tout cela, ce pourrait être une déstabilisation plus vaste de toutes les démocraties de l’Est et du Nord de l’Europe.

Face à cette situation, on ne peut qu’être abasourdi par l’esprit munichois qui prévaut dans un pays comme la France. La France ne croit pas réellement à une agression de l’Ukraine par les Russes, et avance qu’un dialogue exigeant est possible. Les experts éclairés ne croient plus à la possibilité de ce dialogue, qui est, au mieux, un vœux pieux, au pire, une compromission. Si l’on tenait vraiment à la démocratie et à la liberté, l’heure devrait être au réarmement, militaire, politique, économique et surtout moral.

Or, que voit-on ? Toute une partie de la classe politique a basculé dans une attitude de fascination ou d’ambiguïté vis à vis de Poutine : Mélenchon, Zemmour, le Pen, et même une partie de la droite républicaine. L’itinéraire de François Fillon est à cet égard symptomatique, qui prend des responsabilités aux conseils d’administration de plusieurs grandes entreprises russes. Dans la sphère médiatique, on frise l’inconscience : tout le monde est incrédule face au péril, et on préfère consacrer son attention à la réouverture des discothèques et autres sujets du même genre. Sans parler des citoyens, qui ont déjà en grande partie abdiqué leur liberté, c’est à dire leur capacité à influer, par la participation à la délibération démocratique, sur la volonté générale et le destin collectif.

Munichois un jour, Munichois toujours : telle pourrait être notre devise. Nous semblons croire que la rationalité l’emportera. C’est méconnaître les passions humaines à l’œuvre dans l’histoire, faite de démesure et d’inconséquence. Or, ce que l’on voit, c’est un dirigeant russe animé de l’esprit de revanche. Dans ce contexte, et alors qu’une guerre chaude de dimension potentiellement systémique pourrait être déclenchée, il ne faudrait pas que nos renoncements et notre manque de courage nous précipitent dans l’abîme. Après notre pusillanimité face au changement climatique, nous adoptons la même attitude face au risque géopolitique.

Emmanuel Paul de Kèpos

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