Revue de projets #21 ; le Laboratoire sauvage

Laurie Targa est l’initiatrice du Laboratoire sauvage, association spécialisée dans la promotion des sciences participatives. Elle nous explique ce que cette expression revêt, et les missions de l’association.

Qui êtes-vous et comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux sciences participatives ?

Je m’appelle Laurie Targa. J’ai terminé un doctorat en biologie cellulaire il y a un an. Au cours de ce travail, j’ai pu faire des formations qui m’ont fait découvrir la médiation scientifique, la zététique, les problématiques d’intégrité scientifique ou encore l’entrepreneuriat.

J’ai été intéressée par de nombreuses ressources invitant à prendre du recul sur les pratiques de recherche, mais il y a un tel écart entre les recommandations que l’on trouve, et la réalité de ce que l’on fait lorsqu’on s’insère dans un grand système déjà lancé, que cela m’a amené à imaginer d’autres moyens de permettre à ces nouvelles pratiques de trouver leur place. J’ai aussi pris conscience que le temps humain était plus précieux et rare que les investissements financiers.

Je suis par ailleurs engagée dans le milieu associatif depuis plusieurs années. J’ai réalisé progressivement qu’il était possible de faire de plus en plus de choses dans des cadres différents avec des valeurs qui pouvaient mieux me correspondre. C’est aussi pour cela que j’ai rejoint Kèpos dès ses débuts. Les sciences participatives se sont alors présentées comme le meilleur compromis pour rendre possible une recherche engagée au sein de la société civile. Après avoir lancé plusieurs projets, je me concentre maintenant sur le développement de l’association Laboratoire Sauvage.

Qu’est-ce que les sciences participatives exactement ?

Les sciences participatives regroupent les projets de recherche qui bénéficient de la participation active de citoyens qui ne sont pas chercheurs de métier, dans au moins une des étapes du projet. Cela se distingue de la sensibilisation, de la vulgarisation ou de la médiation. Nous apprenons les uns des autres en avançant ensemble sur des projets qui nous rassemblent. Il y a de nombreuses façons de participer, tout dépend du projet en question et de l’implication que l’on y met. Cela peut aller d’une co-construction dès la définition du problème à traiter, à une participation qui ne prendra que quelques minutes au cours d’une expédition pour la collecte de données par exemple.

Une des étapes clé est la définition de la question que l’on se pose :

  • La question peut venir de chercheurs et les citoyens sont sollicités pour soutenir l’effort de recherche.
  • Il est aussi possible que les citoyens sollicitent les chercheurs pour travailler sur un sujet qui les préoccupent et qui n’est pas déjà traité. C’est dans ce cas qu’une réelle dynamique de co-construction est possible. Les sciences participatives sont d’ailleurs vues par les Français comme un moyen de renforcer les liens entre le grand public et la recherche (selon un sondage Ipsos de 2016).

A l’occasion de la crise du Covid, on sent dans la société une forte défiance vis à vis de la science. En quoi les sciences participatives sont une réponse à cela ?

Malgré la crise, la majorité des Français garde une certaine confiance en la science, même s’il semble que la proportion d’individus plus méfiants ait légèrement progressé (cf Baromètre Science et Société – Vague #1Ipsos 2020). La défiance semble plus forte quand la science est mêlée à la politique. Le souci peut aussi être qu’elle est considérée comme difficilement accessible et élitiste. Les sciences participatives, en favorisant l’implication des citoyens à différents niveaux dans des projets de recherche, pourraient permettre de démystifier la démarche scientifique en s’y exposant, en la pratiquant soi-même.

La méthode scientifique n’est pas infaillible, mais elle s’est révélée très puissante pour innover. Elle permet d’arriver au niveau de précision et de nuance nécessaires à certaines réalisations. Alors comment se l’approprier ? C’est un vaste sujet, mais l’éducation à l’esprit critique, à l’analyse de l’information ne me semblent pas suffisantes en l’état actuel. Les projets de sciences participatives me paraissent ainsi de bonnes occasions d’utiliser des ressources scientifiques pour ouvrir de nouveaux horizons et rendre la démarche plus désirable.

Avec le Laboratoire Sauvage, nous utilisons les sciences participatives en mettant la priorité sur ce que peuvent en retirer les participants. Nous acceptons de prendre le temps nécessaire, le temps de partager, d’expliquer, d’apprendre les uns des autres, de faire rigoureusement, d’apprécier une activité stimulant notre curiosité et notre émerveillement. Cet investissement nous semble nécessaire pour de meilleurs résultats à long terme.

Quel est l’intérêt de cette pratique scientifique dans la perspective de la transition écologique ?

Dans transition écologique, on retrouve la notion d’écologie. Pour moi c’est d’abord une science riche et complexe qui a beaucoup à nous apporter. Cette science peut parfois pâtir de son association avec l’écologie politique et le militantisme, alors que des efforts de recherche rigoureux depuis de nombreuses années amènent à des résultats forts qui restent encore trop méconnus.

Le problème que j’y vois c’est que, même si l’on a de bonnes intentions, le manque de méthode augmente le risque de faire fausse route, et surtout de ne pas s’en rendre compte. Pour bâtir des actions plus solides pour permettre la transition écologique, il me semble nécessaire d’équiper le plus grand nombre avec des outils assez puissants, comme la démarche scientifique, pour nous attaquer à des problèmes aussi complexes.

La pratique des sciences participatives permet à la fois :

  • d’amener à mieux prendre en compte les travaux déjà réalisés, mieux intégrer les résultats de la recherche et mieux appréhender les enjeux,
  • de tisser des liens entre recherche et société, de sortir d’une approche descendante pour aller vers la co-construction,
  • de sortir des idées reçues qui sont nombreuses en matière de transition écologique,
  • d’apporter de nouveaux savoirs, mesurer l’impact de nos actions, identifier les actions les plus pertinentes à mettre en place,
  • de tirer de meilleurs fruits de nos expériences, de moins perdre d’informations et améliorer son partage,
  • de devenir acteur de la production de savoirs et de la manière dont ces savoir sont utilisés,
  • de mieux répondre aux besoins locaux.

De nombreux projets de sciences participatives proposent déjà des outils accessibles pour suivre des questions en lien avec la transition écologique, par exemple sur le suivi de la biodiversité, de la qualité de l’air, de l’eau. Malgré leur vocation à toucher le plus grand nombre, ils sont eux aussi encore peu connus.

Dans ce contexte, quelles sont les missions et les ambitions du Laboratoire Sauvage ?

La mission première de l’association est d’amener une diversité de personnes à s’intéresser aux sciences participatives et à y contribuer. Pour cela, l’association compte créer des groupes d’échange et multiplier les rencontres conviviales. Nous proposons par exemple des ateliers de découverte chaque semaine. Ces ateliers sont l’occasion de se rendre compte de la diversité des projets existants que chacun peut rejoindre. Pour certains projets, il est possible de contribuer depuis chez soi en réalisant des tâches comme la résolution de puzzles, le classement d’images, l’analyse de textes. Nous organisons aussi des sorties. Un exemple d’action en extérieur est de réaliser des observations d’animaux, de végétaux, du paysage, en suivant des protocoles simples au choix parmi de nombreux programmes bien rodés que nous présenterons. Ce type d’activité nous permet de redécouvrir notre environnement, de faire des suivis, des comparaisons localement, tout en contribuant à un projet de plus grande échelle où seront rassemblées les observations de milliers de participants. Ces approches sont particulièrement importantes en écologie.

En accompagnant divers publics à contribuer sur ces exemples de projets, notre intention est de rendre les travaux scientifiques plus familiers, de les démystifier. Nous tentons aussi au cours de l’atelier d’expliciter la démarche scientifique et l’intérêt de se l’approprier. Nous proposons ces rencontres actuellement dans le secteur de Vandoeuvre à la Médiathèque et à la MJC Centre Social Nomade, mais nous souhaitons étendre notre champ d’action dans tout le Grand Est. Il est aussi prévu d’investir les FabLabs locaux pour y construire du matériel pour faire des expériences, comme des capteurs pour mesurer la qualité de l’air. Il existe également un laboratoire ouvert tout équipé pour des analyses chimiques et biologiques à Champenoux, nommé « Tous Chercheurs », avec lequel nous souhaitons créer des liens.

Nous accordons une attention particulière à adapter ce que l’association propose aux besoins des personnes intéressées par la démarche, que ce soit au niveau de la thématique, du lieu ou de l’horaire (cf questionnaire cité à la fin de cet entretien).

L’association anime aussi une communauté de pratiques, qui souhaite partager ses compétences pour rendre plus efficaces les projets utilisant les démarches scientifiques et participatives. Nous souhaitons aussi accompagner la création de nouveaux projets. L’association développe d’ailleurs aussi elle-même certains projets portés par ses membres. Ils concernent actuellement principalement l’alimentation et la biodiversité.

Plus globalement, l’association a pour ambition d’accroître la capacité d’agir des participants, par leur implication mais aussi par les savoirs produits. Pour permettre à plus de monde de faire de la recherche autrement, nous poussons également à l’émergence d’un nouveau modèle économique en développant des emplois atypiques de « chercheurs animateur ». L’idée avec le Laboratoire Sauvage, ce n’est pas d’entrer dans la course effrénée à la collecte de données, aux publications à multiplier, à l’innovation creuse. C’est justement de prendre le temps de faire ensemble, de se poser plus de questions, et surtout donner envie d’imaginer, d’investiguer, d’expérimenter et de partager.

Quel peut être l’apport de vos activités pour des acteurs comme des entreprises, des associations ou des collectivités ?

Le Laboratoire Sauvage souhaite faire mieux connaître les sciences participatives aux collectivités, entreprises et association et les encourager à les développer. Nous souhaitons également soutenir des projets de recherche déjà en place. Nous proposons ainsi un accompagnement à la carte pour :

  • analyser les informations disponibles,
  • concevoir des protocoles,
  • conduire des expériences et des analyses,
  • aider dans la prise de décision,
  • et surtout intégrer les citoyens.

Nous proposons des ateliers qui peuvent être organisés selon les besoins de la structure demandeuse. Nous comptons aussi développer des formations pour permettre à d’autres structures de déployer des activités autour des sciences participatives.

Pour aller plus loin, nous proposons un questionnaire pour mieux cibler les besoins des particuliers intéressés. Nous vous invitons à le compléter.

Merci !

Emmanuel Paul de Kèpos

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